Edito pour le n°3 info sur De la nature. de Marie-Michèle Lucas
13 février 22, non paru àce jour
Il y a moins d’hirondelles, non ? D’année en année, je vois bien qu’il y a moins d’hirondelles sur les fils électriques1 moins de moineaux àgrignoter sous les bancs des jardins publics, parfois ce sont les fleurs qui se perdent dans les saisons et qui s’essaient àvenir trop tôt, trop tard… je vois aussi que la Chine dépose de la neige artificielle pour les jeux olympiques, mais alors où est passée la vraie neige et pourquoi organiser des jeux d’hiver sur une planète àl’été envahissant? Et l’océan … de grandes sociétés minières fouillent ses entrailles ou captent ses bactéries pour les commercialiser et on pille encore et encore5 et des femmes et des hommes dorment dans la rue, ils ont faim et ils grelottent sous nos pluies diluviennes2… Que faire de ces désordres ? Comment se mettre d’accord pour mettre fin aux désastres annoncés ?
Quelle voix porte l’artiste pour arrêter le massacre ?
Depuis le début de la pandémie, enfermé(e)s dans nos appartements avec juste un petit kilomètre de rayon pour se promener pendant tout juste une heure, nous avons rêvé de nature, d’horizons vastes, de rivages sans bitume, d’espaces vierges, d’animaux sauvages… mais est-ce celle-làque nous avons rencontrée en sortie de confinement ? Non. Quelque chose avait implosé, l’innocence a été inquiétée. Par la suite, les paroles sont venues. Des palabres salutaires qui lèvent de nouveaux horizons où nature et environnement se définissent différemment, où planète ne veut plus dire ressources infinies, où la santé passe par la question du bien-être animal et la diminution de la biodiversité.
Se demander ce que l’artiste peut produire, ce que l’œuvre d’art dessine sur ces terrains minés ! Prendre le temps d’écouter, d’enquêter, d’observer, de ressentir, de mettre les idées en paroles àdébattre et peu àpeu esquisser des chemins, imaginer des dessins àinstaller sur du papier, de la terre crue àmalaxer sur un drap ou des saules àaligner, des danses animales pour habiter les laboratoires des scientifiques, questionner ensemble et solitairement, tester des hypothèses de pensées communes, partager des oasis de pensées lucides (selon l’expression de Edgar Morin3
Alors, des rencontres : entre artistes, entre artistes et scientifiques, philosophe et historien d’art, des sorties sur le terrain pour que le phytosociologue nous montre le monde (l’étagement de la végétation) àsa façon, des tentatives, élucubrations lors de nos résidences àl’atelier de la Pointe àBrest.Et après ? Quelle voix aura l’artiste, que va-t-il soumettre au regard du public ? Pas une parole de militant, non, il a du mal àadhérer aux mots d’ordre, pas une parole savante non plus, parce qu’il n’est pas un scientifique, … un état de ressenti du bout de ses doigts qui caressent la terre, un rapport sensible aux arbres, aux rivages avant leur ennoiement … ce que l’artiste a àdire est installé dans une forme, les productions viennent parfois refaire, redire les gestes des scientifiques, parfois explorer poétiquement les espaces ambiguës, parfois encore transmettre des vertiges dont on ne sait pas comment ils nous atteignent. Quelque chose de l’informe qui prend forme, accueillir la vibration profonde qui laissera le germe affleurer du chaos, la poiesis dira le philosophe, cette force indicible apportée pour qu’une chose confiée àses propres forces puisse venir àla lumière4 Sans doute quelque chose comme cela … ce que peut tenter de dire l’artiste, capter ce qu’il sent, donner forme àune énigme...C’est tout ce tremblement, cet ébranlement de questions au sujet de la nature, de sa beauté ou de sa disparition et de son désarroi que j’espère aux visiteurs de la maison de la Fontaine entre mars et juin 22.
1. la LPO lance un cri d'alerte sur la disparition des hirondelles
2 juste en bas de chez moi, dans la rue en début d’après-midi, un homme jeune grelottait dans ses vêtements mouillés, il était assis sur un banc public, je suis passée devant lui, j’étais pressée, nos regards se sont croisés, je n’ai rien fait, rien dit, j’aurais pu lui payer un café, lui parler.Quand je suis revenue avec des vêtements chauds et une thermos de café, il avait disparu. J’ai eu honte.
3 L'intellectuel Edgar Morin espère que les "forces créatives" et les "forces lucides" puissent "s'imposer bien qu'elles soient encore très dispersées et très faibles". https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/edgar-morin/2021-edgar-morin-espere-que-les-forces-creatives-et-lucides-vont-s-imposer-face-a-la-crise-du-covid-19-meme-si-elles-sont-encore-tres-faibles_4240965.html
4. Notion de la nature du Film video de Yann Marchand déc21 vidéo Yann Marchand
 5. https://www.liberation.fr/environnement/one-ocean-summit-a-brest-un-torrent-damour-mais-un-desert-de-moratoire-20220211_KUHWUG52EVG2FMM4DS3KY333FE/
voir aussi Claire Nouvian et sa lettre ouverte sur le site Bloom àpropos de one ocean summit le 9 fév22 https://bloomassociation.org/one-ocean-summit-lettre-ouverte-au-president-de-la-republique-emmanuel-macron/